Première adaptation en roman

La première adaptation des aventures de Thorgal en roman a paru en novembre 2009. Ce fut une parution "surprise", aucune publicité n'ayant précédé ou accompagné la venue de l'ouvrage. Après avoir acquis les droits de l'adaptation, les Editions Milan (spécialisées en littérature jeunesse) ont proposé à Amélie Sarn, un auteur travaillant régulièrement avec eux, de relever le défi.

Cette adaptation en roman va se poursuivre dans les années à venir.

Une couverture signée Rosinski

Joli livre à la couverture souple, le premier tome profite tout d'abord d'une illustration superbe, réalisée par Grzegorz Rosinski spécialement pour le roman. On y voit Thorgal et Aaricia, enfants, affrontant de multiples dangers. Le dos du livre est très semblable à celui des albums avec ses frises et sa famille Aegirsson, accompagnés de quelques mots de Jean Van Hamme (cliquez ci-contre pour agrandir).

Quelques chiffres ? Un prologue, 24 chapitres et 286 pages. Le livre est une adaptation des deux premiers albums de Thorgal ("La magicienne trahie" et "L'île des mers gelées"), précédés de certaines histoires extraites de "L'Enfant des Etoiles" (7ème album) et "Aaricia" (14ème).

Redécouvrir l'histoire

Amélie Sarn a choisi de rendre aux aventures de Thorgal leur chronologie naturelle. Le livre commence donc par un prologue qui pose l'ambiance, adaptation fidèle de l'histoire "Le drakkar perdu" extraite de l'album "L'enfant des étoiles". Dès ce prologue, les caractères sont forts, la nature est dangereuse, le Viking est rude et tenace. Et Thorgal fait son entrée ! Tout en respectant l'esprit qui anime la BD, ce prologue est intéressant car grâce à l'espace et à la liberté qu'offrent les pages d'un livre, il va plus loin que l'histoire originelle. Un exemple ? Les hommes à bord du drakkar de Leif obtiennent un nom, pensent et agissent, ce qui leur permet d'exister davantage.

La première partie du livre est peut-être celle qui s'éloigne le plus des albums, mais aussi certainement celle qui plaira le plus aux lecteurs de Thorgal. Sur les six histoires d'enfance des albums "L'enfant des étoiles" et Aaricia", seules trois sont adaptées, assez fidèlement : "Le métal qui n'existait pas", "Les larmes de Tjahzi" et "Holmganga". Les deux premières sont des purs moments d'heroic fantasy, des respirations dans l'histoire qui posent les bases du multi-univers qui est la norme dans Thorgal, avec sa magie, ses monstres et ses dieux.

Le reste, la majeure partie du début du livre, est une adaptation beaucoup plus libre de l'enfance de Thorgal. On y découvre sa maison, ses parents adoptifs, ses amis, ses jeux d'enfant. Profitant là-aussi de l'espace d'expression que libère le roman, Amélie Sarn nous offre une vision personnelle mais juste, et cohérente, de ce qu'a pu être l'enfance du héros. Quelques joies, mais beaucoup de drames, des blessures, et surtout une quête d'identité permanente au sein d'un peuple qui ne l'accepte pas. On voit grandir un enfant rejeté en permanence, mâture avant l'âge. L'auteur pioche des éléments dans la saga et les redistribue tout au long de son histoire en n'hésitant pas à remanier ce qui lui a paru illogique ou difficile à adapter tel quel. Ainsi, dans la deuxième partie du roman, la venue de Slive, et ses agissements, sont beaucoup plus cohérents dans le roman que dans la BD ! Le recul permet ainsi de mieux intégrer l'histoire de "La magicienne trahie", souvent perçue comme une introduction à la série. Autre exemple, si la rencontre avec Xargos (vue dans l'histoire "Le talisman") a disparu, le disque blanc entrevu pendant cette rencontre devient un objet omniprésent que Thorgal s'efforce de préserver tout au long de sa vie. Avant, peut-être, d'en découvrir le sens dans le prochain roman.

Des seconds rôles étoffés

Si Thorgal (ou ponctuellement Aaricia) est au coeur de l'histoire, les seconds rôles vikings s'étoffent et s'imposent. Gandalf et Leif bien sûr, mais aussi Jorund ou Bjorn qui forment avec Thorgal, dès l'enfance, un triangle de haine et d'amitié, sur fond de rivalité "politique". D'autres seconds rôles s'effacent (Hiérulf-le-penseur) ou s'affirment (Gunnar, le prêtre-sorcier du "drakkar perdu"), de nouveaux personnages apparaissent (Astrid, Ulf, Yvir, Olvir...) et deviennent des acteurs naturels de l'histoire.

Le quotidien viking est retranscrit de façon réaliste et documentée, tel qu'on peut se l'imaginer. Une vie rude et fragile, rythmée par les saisons et par l'appel de la mer. Le village et les hommes évoluent au fil de l'histoire, de la vie tranquille et sobre sous Leif à la cruelle prospérité qu'apporte Gandalf. Thorgal change aussi, notamment dans ses rapports avec les Vikings. Sa soif de reconnaissance, balayée par la haine ou l'indifférence des siens, laisse place à la douleur, à la rage, puis à l'acceptation : ce n'est pas chez les Vikings que Thorgal trouvera sa place. Le jeune homme abandonne ses illusions et façonne sa vie autour d'une âme unique, celle d'Aaricia. De façon sûrement excessive puisqu'elle devient l'unique point d'ancrage de son univers, avec les conséquences que l'on imagine si elle venait à disparaître... A voir dans le prochain roman...

Une adaptation équilibrée

"L'enfant des étoiles" est un bon livre, bien écrit, pour tous publics.

Une BD qui devient un roman, la démarche est assez nouvelle, même si on s'habitue à voir les héros sur différents supports (films, jouets, jeux vidéo ou autres). On parle de plus ici d'une saga ayant trente années derrière elle, bien installée, bien connue. Avec un double risque, celui de rester trop proche de l'histoire ou celui au contraire de la trahir.
Trop proche de l'histoire, l'adaptation perdrait de son sens, d'autant que le rythme et le découpage d'une bande dessinée et d'un roman ne sont guère compatibles. Trop éloignée, l'adaptation aurait bien du mal à trouver son public chez les fans du Viking !

Amélie Sarn a su réécrire l'histoire pour nous en proposer une version fluide et cohérente, fidèle sans trop l'être, qui complète agréablement les albums et trouve sa place dans la bibliothèque du fan. C'est aussi un livre pour ceux qui ne connaissent pas Thorgal et pourront ainsi découvrir son univers.

Au-delà des ombres

Paru en novembre 2010, le second roman s'intitule "Au-delà des ombres" (nom du cinquième album de Thorgal). Il revient sur les heures sombres qu'a connues Thorgal peu après son mariage avec Aaricia, jusqu'à sa première rencontre avec son fils au coeur de la forteresse de Shardar-le-puissant.
Les aventures au pays d'Aran mises de côté, ce second roman se consacre donc tout entier au cycle de Brek Zarith qui marque le premier gros temps fort de la série. Comme dans le premier tome, les seconds rôles s'expriment particulièrement, notamment Galathorn, dont la fuite est le fil rouge du premier tiers du roman, et Wargan qui s'affirme et dévoile des talents insoupçonnés.

On y découvre les errements politiques du royaume de Shardar, la façon dont il a pris le pouvoir, la vie de Galathorn avant les événements dépeints dans la série. On suit aussi les préparatifs de l'assaut sur la forteresse... Les nombreuses zones d'ombre offertes par Jean Van Hamme à l'imagination du lecteur sont comblées par Amélie Sarn.
Certains albums de la collection des Mondes de Thorgal ayant la même vocation (notamment ceux scénarisés par Didier Alcante, premier album attendu en 2011 ou plus vraisemblablement 2012), il sera intéressant dans quelques temps de comparer les romans et albums pour juger de la cohérence d'un univers désormais décliné sous différentes formes.

La couverture de Grzegorz Rosinski, une nouvelle fois magnifique, est un patchwork de personnages de la saga Brek Zarith. Un vrai bonheur de retrouver en images et en mots ces héros d'histoires appartenant aux premières heures de la série !

La suite est attendue.

(illustrations extraites de l'album "L'enfant des étoiles" - Rosinski-Van Hamme / Le Lombard)

Amélie Sarn est née en 1970. Elle vit actuellement dans le sud-ouest de la France.

Après des études d'anglais et d'espagnol, elle s'est tournée vers la traduction (plusieurs dizaines de livres) et l'écriture, essentiellement pour la jeunesse.

Ainsi, elle a écrit de nombreux ouvrages pour Milan, comme "Mon papa flingueur", "Un foulard pour Djelila" ou "La nuit de la chauve-souris". Elle a publié "Coupable d'être innocent" chez Rageot, "A mort le minotaure !" chez Belin... Plusieurs dizaines d'ouvrages destinés aux enfants ou adolescents.

Egalement pour Milan, Amélie Sarn est l'auteur de "Groove High", une série jeunesse où l'on suit le quotidien d'un groupe d'ados au sein d'une école de danse. A découvrir sur le site officiel de la série.

Amélie a également adapté en album le dessin animé "Les Triplettes de Belleville" (toujours chez Milan). Dans un autre registre, elle a écrit le roman "Elle ne pleure pas elle chante" (chez Albin Michel), pour un public adulte. Il a été depuis adapté en BD par Eric Corbeyran et Thierry Murat (chez Delcourt).

Elle scénarise également des albums de bande dessinée depuis quelques années. Accompagnée de Corbeyran, elle a signé "Trop mortel", un huis-clos horrifique en deux parties (dessiné par Chico Pacheco, Delcourt) et "Nanami", une série qui plonge l'héroïne et le lecteur dans un univers imaginaire, par la magie d'un livre mystérieux (chez Dargaud, dessins de Nauriel, 4 tomes en 2011). Avec Marc Moreno au dessin, elle a scénarisé "Loup", un roman graphique de près de 300 pages qui conte les errements d'un homme qui, après un attentat, sombre peu à peu dans la démence.

En 2010, Amélie Sarn a coscénarisé avec Marc Moreno "Le temps des cerises", paru en mars, avec Julien Mariolle au dessin. Une jolie comédie humaine que vous pouvez découvrir sur ce site. Avec Jérémy Gens au dessin, elle coscénarise "Dragon eternity" (chez 12 bis, premier album paru en 2011). Dans cette histoire les dragons, réincarnés de nos jours sous forme humaine, cherchent à se venger des humains qui ont provoqué leur extinction. Une lycéenne, Tara, se retrouve mêlée à ce combat.

Toujours avec Marc Moreno, elle prépare pour Delcourt une nouvelle série, "Dark blood", pour 2012.

Amélie Sarn, auteur de l'adaptation en romans de la série Thorgal, a accepté de répondre à quelques questions peu de temps avant la parution du premier tome "L'enfant des étoiles". Un grand merci à Amélie pour sa gentillesse et sa disponibilité.

« L’enfant des étoiles » est le premier roman issu de l’univers de Thorgal, alors que la série existe depuis très longtemps. Comment en êtes-vous arrivée à travailler sur « Thorgal » ?
L’éditeur avec qui j’ai l’habitude de travailler [Milan] a acheté la licence Thorgal, et mon éditrice m’a demandé si j’étais intéressée. J’ai sauté sur l’occasion parce que je suis super fan depuis le tout tout début. Ca a été tenté à plusieurs reprises, de faire un roman à partir de Thorgal, apparemment ni Le Lombard, ni Van Hamme, ni Rosinski j’imagine, n’avaient été convaincus par ce qui leur avait été proposé. Moi, ça m’a semblé assez rapidement évident car comme je vous le disais je suis fan de la série.

Pouvez-vous nous dire quelques mots sur l’histoire qui est développée dans le roman ?
En fait, je reprends l’histoire de Thorgal. J’ai souhaité resserrer l’intrigue, parce que, quand Van Hamme et Rosinski ont commencé, ils ne savaient pas qu’ils allaient en faire autant. Ca se lit, ça se voit, il y a de petites incohérences dans les retours en arrière. Mon but est de raconter dans Thorgal les deux choses qui me paraissent les plus importantes, sa quête d’identité et sa famille.

Vous vous êtes basée sur les albums ?
Le tome 1 va du moment où Thorgal est trouvé par Leif dans la mer jusqu’au moment où il part enfin avec Aaricia. Je me suis complètement basée sur les albums, sauf qu’évidemment, et bien entendu avec l’accord de Jean Van Hamme, j’ai fait des modifications. D’une part il y avait des choses qui ne collaient pas, d’autre part j’ai raconté plein de choses que Jean Van Hamme n’avait pas eu l’opportunité de mettre dans la bande dessinée. On apprend beaucoup sur Thorgal enfant, plein de choses sur sa mère par exemple, sur son premier amour, qui n’est pas Aaricia… Bien entendu tout a été passé au crible par Jean Van Hamme qui est le créateur, je ne me serais pas permis de faire quoi que ce soit sans son aval. Je suis super contente parce qu’il a adoré, il a même autorisé à ce qu’on l’écrive sur la 4ème de couv’, qu’il a trouvé ça super bien. J’étais ravie.

Vous avez donc pu ajouter pas mal de choses par rapport à la bande dessinée.
Oui, en fait c’était ça l’idée, reprendre la trame telle qu’elle est dans la bande dessinée pour que les lecteurs, les fans, s’y retrouvent (comme moi, c’est ce que j’avais envie de lire !) et mettre ce que les auteurs n’avaient pas eu l’opportunité de creuser dans la bande dessinée. On a son enfance, comment et pourquoi il est devenu ce qu’il est. J’explique aussi les raisons de sa double personnalité, que Van Hamme a exploré après avec Shaïgan, parce que Thorgal est un type qui ne veut que la paix, et qui en même temps est quand même super violent, et très en colère, tout le temps. J’explique pourquoi il a ces deux choses en lui, d’où elles viennent.

On va avoir des réponses à nos questions !
En tout cas vous allez avoir mes réponses [rires].

Le livre sera une source d’inspiration supplémentaire... Est-ce qu’il est prévu de continuer ?
Oui bien sûr, je suis en train d’écrire le tome 2, qui racontera l’histoire de la disparition d’Aaricia au moment où elle est enceinte et les errements de Thorgal jusqu’à ce qu’enfin il retrouve Aaricia et Jolan [prononcé Yolan]… moi je dis Yolan…

Tout le monde a sa version…
Oui ! [rires]… et jusqu’au moment terrible où ils vont découvrir que leur gamin a des pouvoirs, et qu’il ne savent pas très bien quoi faire.

On reste dans le début de la série, des albums qui ont beaucoup marqué ceux qui l’apprécient beaucoup.
Oui, et il y aura un troisième roman. Au début du tome 1 Thorgal essaie de retrouver ses origines, à la fin du tome 1 il se dit que finalement ça ne l’intéresse pas, il ne veut pas y aller. Pour toutes ses origines, que ce soient les vraies ou celles des Vikings qui l’ont élevé. Dans le tome 2 il est obligé de retrouver les Vikings, et surtout, dans le 3, il va se retrouver face à ses véritables origines. C’est la trame générale.

Vous avez tout prévu !
Oui oui ! Je n’écris jamais au hasard, je me laisse bien sûr une marge de découverte, de surprises, mais je sais toujours exactement où je vais de façon à pouvoir distribuer mon intrigue et les pics d’intérêt correctement dans mes romans.

Vous avez échangé avec les auteurs tout au long de l’écriture du roman ?
Je n’ai pas échangé directement avec Jean Van Hamme, qui est un monsieur qui aime beaucoup sa tranquillité, j’ai échangé malgré tout avec lui mais de façon indirecte, par le biais de son éditrice, pour toutes les questions que j’ai pu poser. J’ai modifié des choses en particulier par rapport à Slive, la reine des glaces, il y avait des choses qui ne collaient pas. Il y avait des choses en revanches qui me semblaient s’imposer, donc je lui ai fait trois-quatre courriers auxquels à chaque fois il a répondu « super, super, c’est génial, vous avez carte blanche, allez-y ! ». Il m’a laissée extrêmement libre, vraiment, tout en me soutenant, en disant c’est très bien, allez-y continuez. Dès la deuxième lettre c’était allez-y, je vous fais confiance, vous avez carte blanche. Quant à Rosinski, j’ai eu un contact avec lui parce qu’il avait besoin d’informations pour faire la couverture, je les lui ai données, il a fait une superbe couverture, vraiment ma-gni-fique.

C’est vrai, elle est superbe. Elle donne quelques renseignements sur l’histoire avant d’ouvrir le livre. D'ailleurs, est-ce qu'il contient des illustrations ?
Il n’y a pas d’illustrations à l’intérieur, juste cette couverture, vraiment très belle.

Parlons un peu de vous, vous étiez lectrice de Thorgal avant d’être auteur, c’est intéressant de savoir que c’est une fan qui écrit les romans.
Je ne sais pas… si c’était quelqu’un qui n’était pas fan… Moi je connaissais par cœur les albums, je les ai lus 50 000 fois ! Quand j’ai soumis mon projet au Lombard, et donc à Van Hamme, je pense que c’est d’ailleurs pour cette raison qu’il a été accepté, je les avais tellement intégrés, je ne les ai pas découverts pour écrire. C’était très digéré, tout en respectant, je crois, totalement l’esprit.

Un plaisir pour beaucoup de fans ! Ecrire, imaginer, découvrir, s’interroger sur la série…
[rires] Moi aussi je me pose plein de questions ! Et ça m’intéresse d’entendre les questions des autres. J’ai parcouru le forum [du site Thorgal-BD] j’irai voir d’un peu plus près parce que je me suis dit que c’est une super source pour moi, voir toutes les questions que les gens se posent sur Thorgal.

Oui, les discussions partent dans tous les sens, aussi bien sur des sujets sérieux ou drôles… On a commencé à parler du roman d’ailleurs, les gens s’inquiètent toujours un peu.
Je comprends, je comprends leur inquiétude. J’aurais la même, je pense. Mais j’ai vraiment essayé de rester au plus proche de l’esprit et, comme je disais, ma meilleure garantie, c’est le fait que Van Hamme ait aimé. C’est la seule chose que j’attendais vraiment, savoir si lui, il aimerait. Il a aimé, je suis complètement rassurée.

Justement, on peut dire que c’est à la fois une adaptation et, en partie, une histoire originale, puisque vous ajoutez des passages personnels qui ne sont pas dans les albums. Est-ce que vous pensez, à un moment ou un autre, écrire une histoire qui serait complètement originale ?
Je ne sais pas… Je n’y ai pas songé avant que vous me posiez la question ! C’est la fan qui parle encore, mais ce que j’aimerais bien, mon rêve… mais bon ce n’est pas faisable, je ne vais pas marcher sur les plates-bandes d’Yves Sente, mon rêve serait qu’on me confie un album, puisque je suis scénariste de bandes dessinées par ailleurs. J’aimerais bien qu’on me confie la suite de Thorgal ! [rires] De Jolan en l’occurrence. Mais sinon au niveau du roman je ne sais pas. Je crois qu’il va falloir que j’attende un peu de voir comment est reçu ce que j’ai fait. Sous la forme de roman, je n’y avais pas songé. Et puis, c’est tellement riche, que ça ne me semble pas indispensable pour l’instant sous forme de roman. Après, s’il y a des demandes par rapport à ça, oui, j’y songerai certainement. Pour l’instant je me nourris de ce qui existe déjà et qui est très riche.

Quelques mots sur votre parcours d’auteur ?
J’ai publié mon premier roman en 1994, je crois, il y a 15 ans. Je suis essentiellement écrivain pour la jeunesse, j’ai écrit plein de bouquins pour les gamins de tous les âges, de l’album, jusqu’au roman pour les grands ados, en passant par tous les âges intermédiaires. J’ai publié une bonne soixantaine de livres. Je suis également traductrice, j’ai traduit pour la jeunesse une soixantaine de bouquins ou plus. J’ai publié chez Albin Michel un roman pour adultes [Elle ne pleure pas, elle chante] qui va être adapté en film incessamment, ils ont commencé le casting. Je fais de la bande dessinée depuis quelques temps, j’ai une série chez Dargaud [Nanami], un petit diptyque chez Delcourt, « Trop mortel », là je suis en train de travailler pour Quadrant, « Le temps des cerises », plutôt pour les adultes et qui sort en 2010. J’ai fait une bande dessinée avec mon compagnon Marc Moreno au dessin, qui s’appelle Loup, chez un petit éditeur Les enfants rouges, un roman graphique. Et là, ensemble, on travaille sur une nouvelle série pour Delcourt qui s’appelle « Dark blood », une histoire de vampires, qu’il est en train de dessiner et ne sortira pas avant un an.

Merci beaucoup !
C’est moi qui vous remercie de votre intérêt.

(entretien réalisé le 2 novembre 2009)

Avec l'accord des Editions Milan et de l'auteur (merci à eux !), voici trois extraits de la première adaptation en roman des albums de Thorgal, "L'enfant des étoiles", paru en 2009.

Dans ce premier extrait, on retrouve une célèbre scène de l'album éponyme de Van Hamme et Rosinski, "L'Enfant des Etoiles". Leif et Gandalf s'affrontent au sein d'une mer déchaînée, prête à les engloutir. Cette scène, bien qu'adaptée de la BD, développe d'une façon inédite les raisons de l'antagonisme qui règne entre les deux hommes forts des Vikings pendant la première partie du roman.

 
– C’est ta faute !
Un homme aux cheveux blonds et au cou de taureau avait rejeté son plaid et se dressait à présent, le doigt tendu vers Leif. Gandalf-le-fou ! Trapu, il s’était campé, les pieds enracinés au fond du drakkar.
– C’est ta faute, Leif Haraldson, reprit-il d’une voix forte qui parvenait à peine à couvrir le fracas de la tempête. Tu nous as bernés avec tes rêves de conquêtes et d’aventure ! Tu nous as menés droit vers une mort sans combat et sans gloire ! Où sont-ils les trésors dont tu parlais avec tant de ferveur ? Les trouverons-nous dans le ventre des poissons qui se régaleront de nos chairs ?
Dans les yeux gris de Gandalf dansait cet éclat malsain qui lui valait son surnom. Au combat, il avait maintes fois démontré qu’il était insensible au feu comme au fer ; son courage n’avait d’égal que sa sauvagerie, la sauvagerie de ceux que la raison abandonne, une sauvagerie bien proche de la rage des Bersekirs. Depuis longtemps déjà, se targuant du nombre d’hommes qu’il avait tués lors des raids et des campagnes, Gandalf contestait l’autorité de Leif. Pas une assemblée où il ne lui tenait tête ou ne tentait de le tourner en dérision ; il lui reprochait de laisser vivre la communauté sur les récoltes et l’élevage, de transformer les guerriers en fermiers. C’est en partie ce qui avait décidé Leif à organiser cette expédition. Et ce n’était pas par hasard qu’il avait tenu à ce que Gandalf navigue sur le même drakkar que lui, il tenait à le garder à l’œil. Mais à présent, ils étaient tous perdus et très bientôt, c’est à Aegir, le dieu de la mer, qu’ils devraient rendre des comptes.
– Plus de cent des nôtres sont morts et errent en ce moment même au Hel, continua de rugir Gandalf. Peux-tu nous ramener au Northland, ou même ça tu n’en es pas capable ?
Les hommes recroquevillés contre la coque du drakkar, tenaillés par la faim et la soif, se dégagèrent de leurs couvertures. Gandalf exprimait ce qu’ils pensaient. La mort n’était rien, mais ils craignaient le jugement que les dieux réservaient aux hommes qui meurent sans bravoure : une errance sans fin dans les dédales obscurs du Hel.
– Alors Leif ! tonna Gandalf. Peux-tu nous ramener à nos foyers ?
 

Le deuxième extrait nous emmène quelques instants auprès d'un personnage inattendu mais qui devient évident à la lecture du roman. Voici un passage entièrement original de l'enfance de Thorgal, un de ces passages qui construisent peu à peu le personnage dans le roman.

 
Thorgal se recroquevilla derrière la barrique. Il se jura que plus tard, si lui aussi avait une femme, il ne laisserait aucun homme, aucun prêtre-sorcier, ni aucun dieu décider de son sort. Si elle était malade, il resterait près d’elle et la soignerait lui-même. Et si pour cela, il devait cesser d’être un Viking – il souhaitait pourtant si fort qu’on le reconnaisse en tant que tel –, eh bien, tant pis. Leif ressortit de la tente. Les trois hommes échangèrent quelques mots et s’éloignèrent chacun de leur côté. Leif, le pas lourd, prit le chemin de la plage. Thorgal hésita à le suivre puis il se ravisa. Les rues du village étaient quasiment vides. Plus loin, deux hommes fendaient des bûches, une femme accrochait son linge sur les fils qui durant l’été avaient servi à sécher le poisson. Personne ne regardait vers lui. À demi courbé, la tête rentrée dans les épaules, il courut jusqu’à la tente, en écarta les pans et se faufila à l’intérieur.
Les joues d’Yvir étaient presque aussi blanches que la neige. Ses paupières étaient closes. Leif l’avait enveloppée dans une de leurs plus belles couvertures, tissée de laine écarlate et azur par Yvir elle-même. À quatre pattes, Thorgal s’approcha de celle qui s’était toujours occupée de lui, du plus loin que remontaient ses souvenirs. Quand Yvir sentit le souffle chaud de la respiration du garçon sur ses joues, elle ouvrit les yeux.
– Que fais...
Secouée d’une quinte, elle ne put achever sa phrase. Thorgal posa sa main sur les lèvres de sa mère et s’allongea près d’elle. Il cala sa tête au creux de son épaule et se concentra sur sa respiration difficile et sifflante. Au bout d’un moment, il la sentit se détendre. Elle dégagea son bras de la couverture et le passa autour de Thorgal.
– Mon fils, murmura-t-elle.
 

Le troisième extrait est un passage plus directement inspiré de la BD, montrant comment une scène d'action illustrée peut être tout aussi vivante sous forme de mots. On est ici dans l'une des parties "récréatives" du roman, dans l'aventure et le merveilleux. L'un des premiers frissons aventureux du héros mais aussi sa première incursion dans ces univers parallèles qu'il visitera à de nombreuses reprises.

 
Il s’étala de tout son long, le nez dans l’herbe bleue. Il n’eut pas le temps d’essayer de se redresser et Tjahzi était trop loin pour lui tendre la main. Il se sentit soulevé du sol. Il agita désespérément les bras et les jambes pour obliger le monstre à lâcher prise, mais entre les doigts du géant, le garçon avait la taille d’une souris. D’une petite souris.
– Tjahzi ! cria Thorgal. Au secours !
L’ascension continua jusqu’à ce que Thorgal se retrouve face à la bouche du géant. L’haleine fétide et chaude de la créature l’enveloppa. De près, les dents acérées de Hjalmgunnar étaient encore plus effrayantes. Sa langue, noyée dans la bave, ressemblait à une immense limace. Ses narines tressaillaient comme prises de frénésie. Thorgal porta les mains à ses yeux. Dans quelques secondes, la créature le jetterait dans sa bouche et le croquerait tout cru. Il préférait ne pas voir ça.
 
Tjahzi vit le géant soulever Thorgal de terre et son sang ne fit qu’un tour. Hjalmgunnar et ses frères étaient un des plus effrayants périls pour son peuple. Ils vivaient en bordure du pays du petit peuple, et si un nain voulait franchir la frontière, ils essayaient de le croquer. Il existait, bien sûr, des passages qui permettaient de les éviter, mais il fallait alors traverser des montagnes, des gorges et des souterrains, où les dangers étaient autres mais non moins sérieux. Entre le pouce et l’index du géant, Thorgal se débattait en hurlant. Tjahzi ne pouvait rester sans rien faire. C’était grâce à ce garçon qu’il avait trouvé le métal qui n’existe pas et grâce à lui encore qu’il avait pu rejoindre son territoire. Sans plus réfléchir, il prit la pioche attachée à sa ceinture, la souleva et, de toutes ses forces, l’abattit sur le gros orteil de Hjalmgunnar.
 

(c) Sarn - Editions Milan 2009 - Reproduction interdite

Voici deux autres extraits, cette fois du second roman, "Au-delà des ombres", paru en 2010.

Ce premier extrait est le court prologue du livre. Histoire d'ambiance, premier noeud du fil rouge galathornien.

 
Le jeune homme était à fond de cale, les poignets et les chevilles entravés par d’épaisses cordes. Sa docilité avait convaincu les gardes que les chaînes étaient inutiles. La galère entamait sa deuxième nuit de voyage. Les yeux fixés sur le pan de ciel minuscule, le prisonnier essayait de déterminer à l’aide des étoiles la position et l’avancement du navire.
Loin de l’empêcher de dormir, les battements de tambour, les coups de fouet et les gémissements des cent rameurs qui actionnaient le vaisseau le berçaient, car chaque coup de rame l’approchait de son but.
 

Beaucoup plus long, le second extrait nous ramène dans le village de Caleb. On y découvre un quotidien simple et chaleureux, où la vie de l'hiver est tributaire du travail de l'été. On y ressent aussi la peur viscérale qu'inspire le Viking, la peur de cet "événement extérieur" qui pourrait bouleverser des vies qui n'ont pour ambition que d'être paisibles.

 
Le soleil était encore chaud et pourtant la journée de travail tirait à sa fin. Les femmes étaient déjà reparties au village, emmenant les enfants, afin de préparer le banquet. Les épis dorés, liés en bottes, s’amoncelaient dans les charrettes comme autant de promesses d’un hiver durant lequel on ne souffrirait pas de la faim. Caleb s’approcha de Thorgal et lui octroya une claque amicale dans le dos.
– Il ne t’aura pas fallu beaucoup de temps pour devenir un véritable paysan, mon ami, lança-t-il.
Thorgal rejoignit l’homme qui les avait accueillis lui et Aaricia, près de six mois plus tôt. Lorsqu’ils avaient frappé à sa porte, épuisés et frigorifiés après de longs jours de marche à la recherche d’un endroit où s’installer, Caleb n’avait posé aucune question ; il s’était contenté de leur ouvrir la porte de sa hutte. Jusque-là, ils avaient avancé droit devant eux, ne s’arrêtant que pour bivouaquer, désirant mettre le plus de distance possible entre eux et les terres vikings. Après tant de jours de marche, Aaricia avait besoin de repos, d’un lieu protégé des intempéries, d’un lit. Ce village était pour eux un havre.
Dès le lendemain de leur arrivée, Thorgal, incapable de rester inactif, s’était proposé pour participer aux tâches du village avec les autres hommes. En cette saison, les corvées consistaient essentiellement à nourrir le bétail et à réparer les clôtures. Il s’était mis au travail avec ardeur. Personne n’avait trouvé à redire à la présence de cet homme peu bavard, mais robuste, dont les talents à la chasse permettaient de manger de la viande en une période où l’on devait habituellement s’en passer.
De son côté, Aaricia s’était rapidement liée d’amitié avec Armeline, l’épouse de Caleb. Elle retrouvait avec elle la complicité qu’elle avait partagée avec son amie Solveig, à présent épouse de Joründ-le-taureau. Armeline, mère de cinq enfants, n’avait pas tardé à se rendre compte qu’Aaricia était enceinte. Il ne fut plus question de reprendre la route. Les beaux jours arrivaient et Caleb aida Thorgal à bâtir une hutte au toit de chaume. Le jeune couple faisait à présent partie de la petite communauté.
Caleb s’étira en se massant le dos. Les hommes se mettaient en route vers le village, leur fourche rudimentaire sur l’épaule. Thorgal passa à son ami l’outre à laquelle il venait de se désaltérer.
– Ton clan ne te manque pas trop ? demanda soudain
Caleb en évitant le regard de son compagnon. Thorgal esquissa un sourire. La question était posée avec légèreté, mais il n’ignorait pas que ses origines inquiétaient le brave homme. Lorsque Thorgal avait commencé à lui livrer une partie de ses secrets, Caleb avait pris un air horrifié.
– Vous venez d’un clan viking ! avait-il bégayé. Nous ne voulons rien avoir à faire avec ces pillards casqués et barbus !
Thorgal l’avait immédiatement rassuré :
– Nous non plus, Caleb, nous non plus.
Caleb avait choisi de croire l’homme à la joue barrée d’une cicatrice mais au regard clair et franc. S’il posait encore parfois des questions, c’était plus par crainte de voir un jour son nouvel ami repartir parmi les siens, car un lien véritable s’était créé entre eux. Pour toute réponse, Thorgal sauta sur le banc de la carriole et tendit les rênes à Caleb.
– Il est temps de rentrer, les femmes nous attendent.
La carriole cahota sur le chemin pierreux et les deux hommes profitèrent en silence de la douceur des rayons de soleil. Lorsqu’ils arrivèrent en vue du village, les premiers cris retentirent.
– Les voilà ! Les voilà !
Une douzaine d’enfants montaient la garde, impatients que la fête du dernier jour des moissons commence enfin. En tête, Shaniah, la fille aînée de Caleb, se précipita vers la charrette. Un sourire découvrait ses dents blanches et deux fossettes creusaient ses joues. Mais son père la reçut d’une rebuffade :
– Que fais-tu là, Shaniah ? Tu devrais être avec les femmes à préparer le repas !
La jeune fille avait presque seize ans, mais son visage, piqueté de taches de rousseur, était celui d’une petite fille. Son corps n’avait pas assez changé pour imprimer des formes féminines à sa tunique simple. À la remarque acerbe de son père, elle prit un air buté.
– Je voulais proposer à Thorgal de l’aider à bouchonner son cheval, marmonna-t-elle.
– Thorgal est assez grand pour s’occuper lui-même de ses affaires. Toi, fais ce que je t’ai demandé.
Shaniah se mordit la lèvre et tourna les talons.
– Je m’inquiète pour elle, déclara Caleb, pensif, en arrêtant la charrette. Elle a beaucoup de mal à prendre sa place dans la communauté.
Thorgal sauta sur le sol en terre battue. Le caractère enfantin et têtu de Shaniah ne le préoccupait pas. Les années se chargeraient de le lui faire passer. Les autres enfants commençaient déjà à décharger les gerbes. Une chaîne s’était formée jusqu’aux granges. Ils riaient en se passant l’avoine dorée de main en main. Thorgal fut saisi d’un subit besoin de voir Aaricia et de la serrer dans ses bras. Il s’excusa auprès de Caleb qui le regarda s’éloigner en souriant.

Dans la maison longue, où les villageois avaient l’habitude de se réunir, flottait une odeur délicieuse. La fête des moissons était un moment important, sans doute le plus important de l’année et, pour l’occasion, les femmes avaient préparé de grosses miches de pain à la croûte épaisse, des cochons et des chèvres rôtissaient au-dessus des foyers et les enfants avaient ramassé des baies dans la forêt. Thorgal chercha Aaricia des yeux et la découvrit devant le feu, occupée à tourner et à arroser un cochon qui commençait doucement à griller. Elle avait protégé ses longs cheveux blonds d’un épais fichu et sa robe mettait en valeur sa poitrine lourde et son ventre proéminent. Sur son visage palpitait la lueur orangée des flammes. Thorgal se dirigea vers elle et la prit dans ses bras.
 

(c) Sarn - Editions Milan 2010 - Reproduction interdite

Cliquez pour agrandir L'enfant des étoiles Novembre 2009
Cliquez pour agrandir Au-delà des ombres Novembre 2010