Très attendue, la monographie Rosinski a paru le 6 décembre 2013.
C'est un livre dont on entendait parler de temps à autre, au hasard d'une rumeur, depuis 2005.

C'est quoi, une monographie ?

Cette monographie est un livre retraçant l'essentiel de la vie et de la carrière de Grzegorz Rosinski. Un livre exhaustif, bourré d'anecdotes, de références historiques et de documents très variés.
C'est aussi, en ce qui concerne Rosinski, un livre d'art, parsemé d'oeuvres superbes.

Rosinski, en toute intimité

Le dessinateur de Thorgal se livre, raconte, décrypte et commente sa vie et son oeuvre. Mis en confiance par l'amitié qu'il a pour son biographe, Patrick Gaumer, il nous offre son parcours et partage tout ce qui a été essentiel pour lui.

Un auteur connaisseur

Ancien libraire, Patrick Gaumer connaît bien le monde de la bande dessinée. Il a notamment écrit ou co-écrit des ouvrages sur Raoul Cauvin, René Goscinny, André-Paul Duchâteau, Tibet... ainsi que des guides et dictionnaires sur la BD.
Pour cette monographie, il a réalisé une série d'entretiens avec Grzegorz Rosinski et avec d'autres auteurs comme Jean Van Hamme ou Yves Sente.

La bible Rosinski

Tout est là, tout est dit, tout est montré. Le livre est beau et riche, l'entretien passionnant. On se cultive et on s'étonne, on entre aussi dans les coulisses de la BD : les techniques, les choix artistiques, les rapports entre auteurs, les méthodes de travail...

Un livre pour les fans de l'auteur et de Thorgal, et qui plaira aussi aux amateurs de BD, d'art et d'histoire.

La monographie Rosinski est un gros livre de 400 pages imprimé sur un papier épais, sous une couverture grise, à vernis sélectif brillant pour la photo et le titre. Un livre-objet, donc, au format carré assumé par la mise en page, qui jongle entre les textes et les documents.

Les pages de texte jouent au ping-pong entre les deux intervenants. L'interrogeur, Patrick Gaumer, nous parle en marge et en rose. Les réponses de l'interrogé, Grzegorz Rosinski, imposent leur noir dans un cadre plus large. Visuellement c'est plaisant. La police de caractère à empattement ne facilite pas la lecture mais elle participe à l'ambiance du livre.

Les pages de documents sont les plus nombreuses. On y trouve beaucoup d'oeuvres du dessinateur : toiles peintes, illustrations, planches de BD, photographies, esquisses, recherches de couvertures ou de personnages, modelage...

Il y a bien sûr des couvertures ou extraits de nombreuses créations de l'artiste, bandes dessinées, albums, pochettes de disques, BDVD, affiches, étiquettes, divers objets... Puisés dans sa collection ou dans celles de ses proches, on retrouve des publications venues de son enfance, des photos de famille ou d'école, des courriers échangés entre la Pologne et la Belgique, des documents de toutes sortes. La collection d'objets, d'images et de textes s'expose sur les pages, un peu comme si on avait ouvert le carton à souvenirs pour le répandre sur une immense table. C'est un livre dans lequel on pioche, on flâne, attiré au hasard des pages par une illustration ou par une phrase qui nous capture pour quelques lignes, quelques pages, tout un chapitre.

Des chapitres, il y en a d'ailleurs très peu. La conversation garde son fil, Patrick Gaumer y a veillé, mais elle voyage inévitablement d'un sujet à l'autre au gré des lumières qui s'allument dans la mémoire de l'auteur. Le chapitrage suit donc les grandes tendances de la conversation, les grands thèmes évoqués, parfois plus artistiques, parfois plus intimes. Ces chapitres sont parfois séparés par un entretien avec un proche de l'auteur, des pages de texte sur fond orangé, tout aussi intéressantes et bien menées.

Voici ces chapitres, en quelques mots.

Avant-propos

On commence par un avant-propos qui met en place les chapitres et dédie le livre aux parents et à la femme de Rosinski. En quelques mots, le biographe feuillette son propre livre.

Une enfance polonaise

Dans ce premier chapitre, Grzegorz Rosinski nous parle de son enfance, en Pologne, de sa famille, des premiers albums de bande dessinée qui vont inspirer sa vocation naissante.

Communisme, amour et beaux-arts

La plupart des chapitres commencent par une introduction historique qui rappelle les grandes lignes des événements d'une ou deux décennies, en Pologne. Dans ce chapitre, des photos, de premiers travaux, et surtout une belle rencontre. Kasia, l'amour d'une vie.

De Kapitan Zbik à Relax

La "première carrière" de dessinateur de BD de Rosinski est présentée ici. Une carrière polonaise, qui ne s'est pas exportée en occident.

Grzegorz R., illustrateur

Illustrateur tout au long de sa carrière, Grzegorz expose ici une partie de 25 ans de travaux d'illustration, aussi variés par leurs formes que par leurs supports.

Voyages en occident

Ce court chapitre ouvre la seconde carrière de Rosinski. Une carrière marquée par plusieurs rencontres déterminantes, notamment celle de Carlos Blanchart, maintes fois cité dans des entretiens comme premier contact de Rosinski avec l'occident.

Entretien avec Carlos Blanchart

Entretien avec Mythic, scénariste de "La croisière fantastique"

Thorgal

Bourré d'anecdotes et de documents inédits, le chapitre consacré à Thorgal occupe un quart de la monographie. Saviez-vous que la mort de Tjall a soulagé l'artiste ? Que l'astigmatisme l'oblige à retoucher ses dessins à l'aide d'un miroir ? Ou que sa fille aînée, adolescente, a mis en couleurs l'un des albums ?

Autre grand intérêt de ce chapitre, il se termine par un long entretien avec Jean Van Hamme, du bonheur pour tout fan de Thorgal.

Entretien avec Jean Van Hamme, scénariste de "Thorgal, "Le grand pouvoir du Chninkel" et "Western".

Hans

"Hans" est l'autre série réalisée par Rosinski au début des années 80, en parallèle de son travail sur Thorgal. Il devra l'abandonner quand le succès de Thorgal lui imposera un rythme de travail ne permettant pas d'infidélités. La série sera reprise par le dessinateur polonais Kas, dont l'épouse, Graza, deviendra plus tard la coloriste des albums de Rosinski. Une histoire de famille, encore.

Entretien avec André-Paul Duchâteau, scénariste de "Hans"

Entretien avec Kas, dessinateur de "Hans", et Graza, coloriste de "Thorgal", "Le grand pouvoir du Chninkel" et "La complainte des landes perdues"

Go West !

Retour dans l'intimité du dessinateur avec une douloureuse décision prise au début des années 80. Pour aller au bout de son rêve d'auteur, Rosinski va quitter sa Pologne et s'installer à l'ouest, avant d'être rejoint par sa famille.

Complainte des petits lutins

Rosinski s'offre de temps à autre une courte respiration, entre (ou pendant !) la réalisation des albums de Thorgal. Deux des plus connues touchent également au médiéval-fantastique, ce sont "Le grand pouvoir du Chninkel" avec Jean Van Hamme et "La complainte des landes perdues" avec Jean Dufaux. Encore une fois, on trouve de nombreuses anecdotes dans le livre, dont une assez terrible et désolante sur la "véritable" couverture du Chninkel. Une couverture qu'aucun d'entre nous ne verra jamais !

Entretien avec Jean Dufaux, scénariste de "La complainte des landes perdues"

Du Western au Comte Skarbek

Autre oeuvres plus récentes, "Western" avec Van Hamme et "Skarbek" avec Yves Sente marquent un tournant graphique dans la carrière du dessinateur, le passage à la couleur directe.

Entretien avec Yves Sente, scénariste de "Thorgal" et "La vengeance du Comte Skarbek"

Les Mondes de Thorgal

Le dernier chapitre de la monographie s'ouvre avec une belle galerie de photos de Kasia, l'épouse de l'auteur, disparue en 2009. Partageant sa peine et sa tendresse avec nous, l'auteur se livre une dernière fois à ses lecteurs, avant de se tourner vers l'avenir de sa série phare, "Thorgal", qu'il confie à d'autres auteurs au sein des "Mondes de Thorgal".

Entretien avec Giulio de Vita, dessinateur de "Kriss de Valnor"

Entretien avec Yann, scénariste de "Louve" et "La jeunesse de Thorgal"

Entretien avec Roman Surzhenko, dessinateur de "Louve" et "La jeunesse de Thorgal"

Quelques réflexions sur la peinture historique

Le livre s'achève par un échange entre deux auteurs aimant art et histoire, puis avec une galerie de portraits libres réalisés par l'auteur, suivie d'une bibliographie détaillée.

Patrick Gaumer est l'auteur de la monographie consacrée à Grzegorz Rosinski. Il est aussi un ami de la famille Rosinski, et un grand connaisseur du monde de la bande dessinée.

Bonjour Patrick. Une monographie consacrée à Grzegorz Rosinski vient de paraître, et c’est un plaisir de rencontrer son auteur ! Pouvez-vous vous présenter, nous parler un peu de votre parcours ?

Je suis originaire de l’Ouest de la France. D’Anjou précisément. J’ai eu la chance d’avoir un grand-père, mineur de fond, qui m’a initié à la lecture. De tout, des journaux, des livres… J’ai découvert la bande dessinée avant même de savoir en lire… je me racontais les histoires. Et puis mon plaisir de gosse s’est transformé en différents métiers. Libraire, tout d’abord, que j’ai pratiqué entre 1977 et 1988. Organisateur d’expositions, aussi (à Paris, Blois, Angoulême ou Bastia… en Europe de l’Est… à Budapest ou à Cracovie).

À partir de 1983, j’ai commencé à écrire sur la BD, à faire des recherches plus approfondies. Le tout a abouti à la publication de quelques dizaines d’ouvrages dont Le Dictionnaire mondial de la BD — dit aussi « Larousse de la BD » —, à une étude sur le journal Pilote, à des monographies consacrées à René Goscinny, à Tibet, à André-Paul Duchâteau, à Raoul Cauvin… et aujourd’hui à Grzegorz Rosinski. J’essaye en fait de transmettre ma passion de gamin.

Vous avez déjà écrit sur Thorgal, participé à d’autres projets avec ses auteurs...

Pas mal de choses, déjà. Je pense au deuxième volume de la collection BDVD chez Seven Sept (Dans les griffes de Kriss), au catalogue de l’exposition de Grzegorz à la Conciergerie, en 2004, à différents dossiers de presse pour le Lombard… au collectif Aux origines des Mondes, le hors série des « Mondes de Thorgal », aux dossiers de la collection Thorgal éditée depuis 2012 par Hachette. Je dois oublier encore un ou deux petits trucs.

Pouvez-vous nous raconter vos premières rencontres avec Grzegorz Rosinski ?

Cela s’est fait en plusieurs temps. À l’occasion d’un festival, dans l’Est de la France, j’avais invité un couple d’amis polonais, Jerzy et Lydia Skarzynski, des scénographes de théâtre et de cinéma (pour Wajda, Kantor, Polanski…). Grzegorz était venu. Nous avions discuté ensemble. Il m’avait parlé de Piotr, son fils, qui étudiait aux Beaux-Arts de Varsovie. Ma compagne s’occupant d’un journal d’arts graphiques, nous étions allés faire un reportage là-bas et nous sommes devenus amis, Piotr et moi. À Varsovie, j’ai croisé Kasia, la femme de Grzegorz. Au fil des années, mes liens avec la famille Rosinski se sont renforcés.

Connaissez-vous également les autres auteurs ? Jean Van Hamme, Yves Sente, les auteurs des Mondes...

Je connais Jean Van Hamme pour l’avoir interviewé à plusieurs reprises, pour discuter avec lui de temps à autre. J’apprécie beaucoup sa vivacité d’esprit. Yves Sente a été mon éditeur au Lombard et nous avons fait ensemble plusieurs livres. C’est devenu un proche. Quant aux autres auteurs des « Mondes » (Yann, Giulio De Vita ou Roman Surzhenko), ce sont des auteurs que j’aime beaucoup. Nous avons toujours grand plaisir à nous voir… le plus souvent à l’occasion de festivals ou de promotions.

Comment est née l’idée d’écrire ce livre ?

D’une conversation que j’avais eue avec Kasia et Grzegorz il y a une dizaine d’années, au festival de Montreuil-Bellay, dans le Saumurois, pas très loin d’où j’ai grandi. En réalité, j’avais vu quelques années plus tôt une exposition-rétrospective de Grzegorz à Angoulême — c’était Piotr, d’ailleurs qui en était responsable. On y découvrait ses premiers travaux polonais, ses illustrations, se premières BD, et je me suis dit qu’il fallait impérativement montrer tout ça au grand public francophone et néerlandophone (la monographie est également publiée en néerlandais).

400 pages, une série d’entretiens, des centaines de documents... Un travail de longue haleine.

Effectivement. Huit ans de travail... ou devrais-je plutôt dire huit ans de plaisir !

Comment se passaient vos entretiens avec Grzegorz ? C’étaient toujours des rendez-vous, ou parfois des moments plus informels ?

Ce n’étaient pas vraiment des rendez-vous au sens strict, même si, pour de simples raisons de logistique, Grzegorz habitant le Valais, et moi en France, nous devions nous organiser. Les entretiens se sont déroulés un peu partout… en Suisse, à Paris, à Saint-Malo, à Bruxelles, etc. Pour préciser tel ou tel point complémentaire, rien de mieux non plus que le bon vieux téléphone. Tout cela s’est passé à la bonne franquette. De la manière la plus libre possible. Le plus souvent, nous étions tous les deux, Grzegorz et moi, mais, parfois, nous nous sommes retrouvés avec la regrettée Kasia, avec les enfants (Piotr, Zofia, Barbara…), les petits enfants… La famille est tellement importante pour Grzegorz !

Comment avez-vous sélectionné les documents ? La plupart appartiennent à Grzegorz, j’imagine.

Ils appartiennent en effet à la famille Rosinski. Certains se trouvaient en Suisse, d’autres en Pologne. Jean Van Hamme m’a également fait confiance et m’a confié des documents rarissimes, je pense, par exemple, à la première carte postale — illustrée d’un dessin inédit — que Grzegorz lui avait envoyé de Pologne. Thorgal s’appelait encore « Ragnar ». Piotr Rosinski, a réuni l’ensemble de l’icono et s’est chargé de la mise en pages de l’ouvrage. Il s’est efforcé de faire coïncider les documents et le texte. Il a fait un travail formidable.

Grzegorz Rosinski se livre intimement dans le livre. Etait-ce facile pour lui, naturel ?

Tout est question de confiance. Grzegorz est un ami très cher. Cela ne pouvait fonctionner entre nous que comme ça. Sans cette confiance, pas de livre possible. Grzegorz est un homme libre. S’il n’a pas envie de raconter quelque chose, rien ni personne ne l’obligera. Là, c’est juste une histoire d’amitié.

On voit que la vie personnelle et la vie professionnelle de l’auteur sont très liées. D’après vous, en quoi ce lien a-t-il été le moteur de son parcours ?

Tout est lié. S’il n’était pas né durant la Seconde Guerre mondiale ; s’il n’avait pas étudié aux Beaux-Arts de Varsovie, qu’il décrit comme une des meilleures écoles du monde ; s’il n’avait pas rencontré Kasia ; s’il n’avait pas eu ses enfants, il serait peut-être resté à dessiner dans le « petit placard » où il se réfugiait dans son enfance… je renvoie évidemment à la lecture du livre pour comprendre tout ça et en savoir plus !

Quelques mots sur Thorgal, bien sûr, personnage qui a marqué la vie de l’auteur. 100 pages, un quart de votre ouvrage.

C’est effectivement le chapitre central. Normal puisque c’est la série qui l’a fait connaître, qui reste sa série emblématique… Là encore, restait à trouver des documents inédits ou peu connus, avec notamment les premiers courriers échangés entre Jean et Grzegorz ou bien encore un entretien avec l’éditeur Carlos Blanchart qui a permis la rencontre entre les deux créateurs de Thorgal.

Etes-vous lecteur de Thorgal ? Collectionneur peut-être ?

Évidemment, c’est même une de mes séries préférées. Je l’ai découverte « en direct » dans le journal Tintin, en 1977. Et j’ai continué à la lire. Je ne suis en revanche pas du tout collectionneur — je n’ai, par exemple, jamais demandé une dédicace à Grzegorz —, même si, du fait de mes recherches, de mon travail, j’accumule énormément de documentation.

Et votre album préféré de Rosinski ? Peut-être pas un Thorgal, d’ailleurs ?

Il y en a plusieurs. J’aime beaucoup "Alinoë", un huis-clos qui n’a pas pris une ride. "Louve", bien entendu, un épisode particulièrement chargé d’émotion. Et puis "Le Grand Pouvoir du Chninkel" qui est un de ses sommets graphiques. J’aime aussi beaucoup son Petit lutin noir, un album jeunesse pas trop connu, paru il y a quelques années aux éditions Alice… un prénom qui m’est cher, puisque ma fille porte le même !

Vous disiez que la maquette de la monographie est signée Piotr Rosinski. Le fils de Grzegorz a été un partenaire important dans votre travail ?

Un partenaire essentiel. Et surtout un grand ami. J’insiste sur le fait que je considère cette monographie comme un ouvrage collectif. Au-delà du tandem que nous formons, Grzegorz et moi, il y a aussi tout le travail de Piotr, tout le travail de Nathalie Van Campenhoudt, mon éditrice, au Lombard. Ce livre a une âme et on le doit à chacun d’entre nous.

Quelques anecdotes sur vos entretiens avec Grzegorz ? Des moments forts, des émotions partagées...

J’adore Grzegorz. Il me fait rire. Des moments forts et des émotions partagées, il y en tellement ! Je garde un merveilleux souvenir de nos soirées (nos nuits) à regarder ses livres sur la peinture du XIXe siècle, nos discussions à bâtons rompus sur le cinéma, la littérature, sur sa chère Pologne, sur nos proches. Sur la façon dont nous observons la vie, le monde qui nous entoure.

Petite question nombriliste, connaissez-vous le site Thorgal-BD ? L’avez-vous déjà visité ?

Plus d’une fois ! J’évoquais au début de notre entretien la passion qui m’a conduit à faire ce métier, à faire un travail de transmission. Thorgal-BD participe aussi de ce mouvement alliant passion et échange. Et c’est une très bonne chose !

Merci beaucoup Patrick, pour votre livre et pour vos réponses à mes questions.

(Entretien réalisé en novembre 2013) (photo portrait (c) blog JeanJacques)

Nathalie Van Campenhoudt, éditrice au sein du Lombard, a accepté de répondre à quelques questions sur la genèse de la monographie Rosinski, qu'elle a accompagnée ces dernières années.

Bonjour Nathalie. Vous êtes éditrice au Lombard, vous vous occupez entre autres de Thorgal et des Mondes de Thorgal, et vous avez participé à la réalisation de la monographie consacrée à Grzegorz Rosinski. Quel est votre rôle, comment intervenez-vous sur ce type de projets ?

Mon rôle sur ce type de projets consiste à organiser les diverses tâches qui mèneront au produit fini qu’est le livre. Il s’agit principalement de deux types de tâches : des tâches liées au contenu et des tâches liées à la réalisation concrète du livre. D’une part, j’accompagne l’auteur dans son écriture et dans la conception graphique de l’ouvrage — conception qui était dans ce cas assurée par Piotr Rosinski, le fils de Grzegorz Rosinski — et, d’autre part, je supervise l’organisation du planning global de l’ouvrage avec les divers intervenants.
Je vois aussi mon rôle comme celui de conseillère et d’arbitre. Je dois être celle qui tranche en cas de doutes ou de difficultés de choix, ce que je fais en tenant compte de ma connaissance du monde de l’édition et du type de livre à réaliser, de l’objectif fixé au départ avec l’auteur.

Concrètement, j’ai reçu les textes de Patrick Gaumer, je les ai relus et y ai apporté quelques petites modifications, en accord avec Patrick. Dans ce cas précis, il s’agissait de modifications de détail, car Patrick m’a remis des textes d’une très grande qualité dès le départ. J’ai ensuite lancé la mise en page auprès de Piotr avec le planning à respecter afin de sortir l’ouvrage dans le délai prévu. J’ai aussi fixé, toujours en accord avec Patrick et Piotr, les caractéristiques techniques définitives du livre.

Tout cela semble très simple, mais l’élaboration de ce livre s’est faite au fur et à mesure de longs mois de travail — pour Patrick, cela représente même des années de recherches, d’entretiens et d’écriture ! — durant lesquels nous avons travaillé main dans la main, Patrick, Piotr et moi, à construire brique après brique chaque chapitre de ce livre, en choisissant les visuels, en ajoutant les légendes, en vérifiant des références diverses, en fouillant les archives du Lombard et de la famille Rosinski pour retrouver des travaux de Grzegorz extrêmement rares, etc… Comme l’a déjà dit Patrick, ce livre est le résultat d’un travail d’équipe.

D’où est venue l’idée de cette monographie ? Qu’est-ce qui vous a séduit dans ce projet ?

L’idée de ce livre ne vient pas de moi et je n’ai pas assisté aux toutes premières discussions qui ont donné lieu à la décision de réaliser et publier ce livre aux éditions du Lombard. En effet, c’est un livre qui était en projet depuis déjà plusieurs années avant que j'arrive au service éditorial du Lombard. Patrick Gaumer pourra vous en raconter la genèse bien mieux que moi. Kasia Rosinski, l’épouse de Grzegorz aujourd’hui décédée, a été pour beaucoup à l’origine de ce livre. C’est pourquoi Patrick Gaumer a décidé de le lui dédier.

De mon côté, j’ai été ravie d’apprendre que j’allais pouvoir en assurer le suivi éditorial il y a un peu plus de 2 ans. Patrick avait déjà écrit presque tous les textes ; Piotr avait commencé à rassembler le matériel visuel ; le projet était déjà bien entamé. Restait à le mettre sur des rails solides afin qu’il arrive à bon port. Et c’est ce que nous avons fait ensemble !

Ce qui m’a séduit dans ce projet, c’est évidemment le fait que ce livre évoque toutes les grandes réalisations en bande dessinée de Grzegorz Rosinski, car j’ai toujours apprécié son travail et je le considère comme un auteur majeur en ce domaine. Ce qui a été aussi séduisant dans ce projet, c’est le fait qu’il aille au-delà de la bande dessinée et des albums de Grzegorz. On découvre dans ce livre toute l’étendue de son talent et les nombreux supports sur lesquels il a travaillé (pochettes de disques, livres pour enfants, couvertures diverses, etc...). Mais le plus important à mes yeux, c’est que ce livre donne à voir une personnalité véritablement attachante et originale à travers un parcours personnel et familial dont Grzegorz a très peu parlé jusqu’à présent. Patrick Gaumer, au fil des ans, a développé une amitié et une complicité très fortes avec Grzegorz, ce qui donne à cette monographie une dimension humaine tout à fait exceptionnelle. Par le biais de mon travail sur ce livre, être incluse dans la famille de coeur de Patrick, Grzegorz, Piotr, Zofia (la fille de Grzegorz) et des auteurs des Mondes de Thorgal est pour moi une expérience incroyable. J’en profite d’ailleurs pour les remercier ici de leur confiance.

La monographie est un livre imposant. Pas seulement pour son poids ! Des centaines de documents ont été recueillis, triés, mis en page...

Le travail de recherches des documents a été fait pour la majeure partie par Piotr Rosinski durant plusieurs années. Patrick Gaumer a quant à lui apporté sa connaissance de l’œuvre de Rosinski en nous aidant à retrouver, entre autres, d’anciens documents issus du Journal Tintin ; Patrick a aussi pris contact avec Jean Van Hamme qui a accepté de nous confier ce qui lui restait de sa correspondance avec Grzegorz, correspondance datant de l’époque où la série Thorgal était en train de naître. Ces lettres et cartes postales sont tout à fait inédites et constituent un vrai plus pour la monographie.

Il a donc fallu plusieurs années pour réaliser l’ouvrage. Le projet a-t-il évolué en cours de route ?

Comme je le disais auparavant, j’ai pris le train en marche, donc je ne peux parler que de la période que j’ai connue. Quand j’ai repris le suivi éditorial de cette monographie, le projet était déjà bien avancé et défini relativement clairement en ce qui concerne son contenu. Mais, à l’époque, Les Mondes de Thorgal n’étaient pas encore très développés. Le retard pris dans la finalisation du projet de la monographie aura eu cet avantage que nous avons pu y intégrer ce volet important du travail de Rosinski. C’est en effet Grzegorz qui est à l’origine du projet des Mondes. Il continue d’ailleurs aujourd’hui à superviser le travail des auteurs des différentes séries parallèles de Thorgal.
Le projet a aussi évolué en ce qui concerne la pagination. Nous avions prévu au départ un ouvrage entre 260 et 300 pages, mais, devant l’ampleur des documents que nous voulions absolument reproduire, nous avons décidé d’augmenter la pagination à 400 pages.

Vous vous occupez tout particulièrement de la série Thorgal.

Je m’occupe de la série Thorgal et aussi des Mondes de Thorgal, en collaboration avec Gauthier Van Merbeeck, directeur éditorial du Lombard. Nous nous répartissons les tâches afin d’assurer le meilleur suivi possible des divers aspects liés à la gestion d’un univers aussi important que celui de Thorgal.

Le Lombard est historiquement spécialisé en bandes dessinées. Un livre comme la monographie est-il un projet exceptionnel pour l’éditeur ?

En effet, il s’agit d’un livre-objet à forte pagination qui sort complètement de l’ordinaire. L’ampleur de la recherche de documents évoquée plus haut en fait aussi un ouvrage exceptionnel. Pour Le Lombard, c’était un sacré défi, car réaliser ce genre de monographie n’est pas notre métier de base. Nous voulions cependant nous y atteler, au vu de l’importance que revêt pour nous le travail de Grzegorz et l’univers de Thorgal. Nous savions que ce projet serait chronophage et pas forcément simple à gérer, mais au final, c’est une expérience positive qui montre qu’un éditeur de bandes dessinées peut aussi réaliser d’autres types d’ouvrages et diversifier son catalogue. Avant de travailler à l’éditorial, j’ai passé quelques années au service fabrication du Lombard. Cette expérience m’a permis d’aborder avec plus de confiance et de facilité l’aspect « monumental » et différent de cet ouvrage.
Par le passé, Le Lombard a déjà réalisé des ouvrages « hors BD », comme les monographies consacrées à René Hausman, André-Paul Duchâteau, Tibet… ou encore les volumes retraçant l’histoire du Lombard rédigés par Jean-Louis Lechat et Patrick Gaumer. En même temps que la monographie Rosinski sort aussi un ouvrage consacré à l’histoire des studios Belvision (par Daniel Couvreur), les studios de dessin animé créés par Raymond Leblanc, le créateur du Journal Tintin. Le Lombard fera sans doute encore d’autres beaux livres à l’avenir, mais nous nous limitons à un ou deux titres par an, en raison du temps important nécessaire pour réaliser des ouvrages de ce type avec le sérieux requis.

Au final, que pense Grzegorz Rosinski de sa monographie ?

Avec cet ouvrage, nous avons réussi à faire un livre de référence sur cet auteur de BD majeur qu’est Grzegorz Rosinski mais nous avons aussi créé un vrai beau-livre, un livre d’art, en montrant une part du travail de Grzegorz qui va bien au-delà de la bande dessinée. Grzegorz m’a confié qu’il était très content du résultat — il suffit de voir les quelques photos où il pose avec la monographie pour le comprendre — et je pense que c’est cette ouverture du livre au-delà de la bande dessinée qui lui plaît énormément. C’est une reconnaissance de l’ensemble de son travail. Ce livre représente aussi certainement beaucoup pour lui d’un point de vue familial, amical et sentimental.

Merci Nathalie pour vos réponses.

(Entretien réalisé en décembre 2013)

Avec l'accord de l'auteur et de l'éditeur, voici 40 pages de la monographie Rosinski, sélectionnées par Patrick Gaumer. Beaucoup d'entre elles sont exclusives au site Thorgal-BD !

Nous ouvrons le livre sur l'enfance de Grzegorz Rosinski. Une enfance bâtie sur les ruines de la deuxième guerre mondiale, et les bouleversements économiques et politiques qui ont suivi. Au coeur de l'Histoire, une autre histoire, celle d'un petit garçon polonais et de sa famille.

Le jeune Grzegorz découvre la bande dessinée, dans un journal francophone diffusé à l'est. Un premier contact déterminant, et déjà de premiers choix, puisque le petit garçon semble davantage attiré par le trait et la mise en image que par l'histoire racontée, dans une langue qu'il ne connaît pas.

Chaque chapitre de la vie de l'artiste est accompagné par l'histoire de son temps. Passionné par l'image, Rosinski adolescent est aussi photographe. Une passion qu'il partage avec nous et qui nous aide à remonter le temps.

Et vient l'époque des premiers travaux, des premiers dessins publiés. Avant d'entrer aux Beaux-Arts à Varsovie, Rosinski participe à plusieurs journaux scouts avec des travaux variés et, déjà, de la BD.

Après plusieurs années essentiellement consacrée à l'illustration (notamment de manuels scolaires), Grzegorz se tourne à nouveau vers la bande dessinée. Il réalisera notamment 11 épisodes de Kapitan Zbik, série policière très populaire en Pologne.

Le chapitre suivant de la monographie revient sur les travaux d'illustration réalisés par Rosinski. Une carrière parallèle qui démarre dès ses premières années d'auteur et se poursuit, dans ce chapitre, jusqu'à la fin des années 80.

Pochettes de disques, affiches ou cartes postales, il a tout fait. En Pologne, en Belgique, en Suisse.

Multipliant les approches artistiques et les rendus, Rosinski réalise notamment des manuels scolaires et des livres de vulgarisation scientifique. Une grande fierté, des milliers d'enfants polonais ayant grandi et appris avec des illustrations de l'auteur dans leurs mains.

Le chapitre suivant évoque les premiers voyages de Rosinski en occident, ses premiers contacts avec les éditeurs francophones. Une série de rencontres et d'échanges qui mèneront à la plus importante, pour nous lecteurs de Thorgal, celle de Jean Van Hamme. Ensemble, ils vont créer l'un des héros les plus populaires de la BD franco-belge.

Dans la monographie, 100 pages sont consacrées à Thorgal, de sa genèse bruxello-varsovienne au départ de Van Hamme. Les anecdotes y sont nombreuses, les deux auteurs n'étant d'ailleurs pas toujours d'accord. Deux égos qui se complètent malgré l'éloignement, les frontières, les barrières d'une langue et d'une culture différentes. Une alchimie qui va conquérir des dizaines de milliers de lecteurs.

Le chapitre Thorgal se referme sur le passage du dessinateur à la couleur directe, et sur le départ de Jean Van Hamme. Une page se tourne mais celles de Thorgal vont continuer à s'écrire. Et à se peindre.

Après un chapitre consacré à Hans, autre série que Rosinski dessinera pour André-Paul Duchâteau, on retrouve un Rosinski plus intime, plus grave aussi. Le chapitre "Go West !" relate les mois où tout a failli s'arrêter, quand la Pologne sous loi martiale ne permet plus au dessinateur de travailler avec la Belgique. Un départ, une déchirure, et une famille soudée qui suivra l'auteur dans son exil.

D'autres créations de Rosinski sont bien sûr à l'honneur. Le Chninkel bien sûr, mais aussi La complainte des landes perdues dont l'héroïne, Sioban, reçoit les traits d'un amour d'enfance. Des traits que l'on retrouve avec un autre de ses personnages, Lehla.

Autres oeuvres plus récentes de Rosinski, Western et La vengeance du Comte Skarbek ont permis au dessinateur de s'évader quelques temps de la "routine" thorgalienne, et surtout de s'essayer à d'autres techniques picturales, le temps d'un ou deux albums. Des précurseurs, avant le passage à la couleur directe.

Skarbek, une histoire bâtie sur mesure pour Rosinski par Yves Sente, qui mêle souvenirs de Pologne et milieu de l'art au XIXème siècle.

A partir de là, Yves Sente va s'imposer au sein de la famille thorgalienne, au point de remplacer Jean Van Hamme au scénario de la série Thorgal. Il scénarise également Kriss de Valnor, l'une des séries des Mondes de Thorgal.

L'avant-dernier chapitre de la monographie s'ancre dans l'actualité de l'auteur, avec notamment de belles reproductions de toiles réalisées pour un musée bruxellois, des toiles réalisées peu après le décès de l'épouse de l'auteur. Un drame familial qu'il partage avec nous.

Le présent de l'auteur s'inscrit au coeur d'un projet pluriel, celui des Mondes de Thorgal. Grzegorz Rosinski réunit autour de lui une équipe d'auteurs chargés de faire vivre Thorgal au-delà de ses auteurs originels.

Le papa de Thorgal s'est quand même gardé une friandise, les couvertures des albums des Mondes. Peut-être son exercice préféré.

Nous refermons le livre avec ces deux dernières pages, qui exposent des portraits réalisés par l'auteur, un jeu auquel il convie certains de ses invités. Il n'y a pas le mien, malheureusement. Peut-être dans la monographie - tome 2 ?

Voilà, 40 pages parcourues, mais seulement 10% d'un ouvrage incontournable pour les amoureux du travail de Rosinski, un livre que je vous invite à déguster en entier.