L'album
Kriss de Valnor
Kriss de Valnor
 
© Rosinski - Van Hamme / Le Lombard 2004
Kriss de Valnor
Kriss de Valnor

28ème album

Octobre 2004

Rattrapés dans leur fuite, Aaricia et les enfants sont condamnés aux mines d'argent. Ils se retrouvent sous les ordres d'une vieille connaissance, Kriss de Valnor ! Etrangement amicale, l'aventurière va s'allier à eux, en leur cachant son incroyable secret...

Seul, encore.
Depuis plusieurs semaines, il est seul sur ce caillou desséché. Il survit au poison, à la faim, à la soif et aux nuits glacées. Il lui reste la vie, il lui reste l'espoir.

Bien loin de là, un enfant s'agite dans son sommeil. Il rêve d'un homme, à cheval sur une monture à la corne magique.
Son père.

Suite de "Le Barbare".


Un héros entre fièvre et rêverie

Longuement attendu... Voilà un album qui ne laisse personne indifférent !
Jean Van Hamme avait promis des surprises. Tout d'abord, même si ce n'est pas la première fois, il est toujours original qu'un album s'attarde davantage sur les "seconds rôles" que sur son héros (c'était déjà le cas dans "Alinoë" ou "La Marque des Bannis"). La fuite de Thorgal apparaît donc comme un fil rouge de l'histoire, parfaitement parallèle à la fuite de Kriss et Aaricia. Comme annoncé, Thorgal ne prononce pas un mot dans cet album... si ce n'est dans les rêves de son fils.

Depuis le 22ème album, "Géants", le lettrage est informatique et uniforme, plusieurs polices de caractères ont été réalisées à partir de l'écriture de Rosinski. Dans cet album, la série change à nouveau de lettrage avec cette fois des lettres plus petites auxquelles il faut s'habituer (surtout si on relit un autre album juste avant). L'avantage ? Les bulles sont plus petites et laissent plus d'espace au dessin.

"Kriss de Valnor" pouvait être acheté avec un portfolio contenant cinq ex libris. Vous pouvez les voir avec ce lien.

Globalement, le dessin est plus fin et plus précis que dans l'album précédent. Les personnages et décors d'arrière-plan sont plus détaillés. Rosinski varie les angles de vue, s'éloigne ou se rapproche de ses personnages, n'hésitant pas à faire des gros plans sur les visages (rares dans la série).

Cet album démontre un net regain d'intérêt de la part de ses deux auteurs. On peut dire que Rosinski atteint ici un point d'équilibre dans son travail, entre les attentes des lecteurs et son plaisir d'artiste. Ce n'est plus, visuellement, aussi détaillé et précis que dans le passé, mais la réussite graphique est incontestable. Le dessinateur s'est notamment appuyé ici sur un encrage prononcé, au pinceau, pour jouer avec la lumière de façon convaincante. Certaines cases sont quasiment noires, de nuit ou dans la mine !


Jolan maître serrurier

Cet album est peut-être le dernier de la série où Jolan est considéré comme un enfant. Il semble subjugué par la personnalité de Kriss, qui se révèle presque aussi efficace que la casque d'Ogotaï pour porter les pouvoirs mentaux de Jolan à leur maximum !

Dans leur lutte pour la liberté, Jolan et ses compagnons franchissent des portes que le jeune garçon ouvre et ferme avec ses pouvoirs d'atlante. La porte de la mine leur ouvre le chemin de l'Empire, la porte de la falaise de Ravinum referme la parenthèse romaine. Et si Jolan est le serrurier qui ouvre ou ferme ces portes, Kriss en est la gardienne, à tel point qu'elle ne semble avoir été placée sur leur route que pour les guider vers la sortie. On pense un peu à Shaniah, qui elle aussi ouvrit et referma la porte en tirant son ultime flèche ("Au-delà des ombres").

Appel au secours du père ? Aide des dieux ? Développement nouveau des capacités de Jolan ?
Les rêves servent de lien entre le père et le fils, entre les deux histoires qui se croisent dans l'album. Autre clé de l'histoire, la licorne a une signification forte, elle donne au rêve une dimension prémonitoire : Jolan ne fait pas que rêver de son père, il perçoit le futur et sent qu'il peut, ainsi, retrouver Thorgal.

La licorne était, au Moyen Age, souvent considérée comme un animal réel. A cause d'une erreur de traduction de l'hébreu, elle était mentionnée dans la Bible ! Son existence est confirmée par les manuels de zoologie jusqu'au XVIIIème siècle. On lui donnait des capacités thérapeutiques, notamment grâce à sa corne qui pouvait, paraît-il, guérir les empoisonnements... Ces capacités magiques justifient aussi sa présence dans l'histoire : elle symbolise ainsi la guérison de Thorgal, sa lutte contre le poison d'Héraclius.

Deux représentations de la licorne sont présentes dans l'album. Dans l'esprit de Jolan, elle apparaît idéalisée, magnifique cheval blanc à la longue corne torsadée. C'est la représentation populaire classique de la licorne. Sur le fronton de l'hospice de Ravinum, la licorne est représentée à la mode antique : plus chevreau que cheval, longue corne frontale, barbiche de chèvre et queue de lion. Il s'agit donc d'un animal composite, comme le griffon, le centaure ou le sphinx.


Noir c'est noir

Enfin, bien sûr, on ne peut parler de cet album sans évoquer le retour marquant et attendu de Kriss de Valnor. Cet album est le sien : il a son nom, sa couleur (le noir !), sa fougue... La belle Kriss a changé, a mûri. Elle est femme, elle a porté un enfant, et ne vit plus seulement pour elle-même. Elle fait des concessions et cherche davantage à se préserver et à aider ceux qui l'entourent. Elle reste une provocatrice quand même ! La scène de saphisme avec Aaricia, surprenante et presque gratuite, entre dans la légende du personnage. Est-ce de la provocation pure ? Une réelle bisexualité ? Un moyen comme un autre de chercher à dominer son ex-rivale ? En tout cas, Rosinski et Van Hamme se sont, chacun dans leur spécialité, bien fait plaisir.

L'histoire se termine par la disparition de la belle guerrière. Le titre de l'album laissait peu planer le doute. Elle disparaît... mais est-elle morte ? A l'évidence oui... Mais Thorgal a survécu au poison, aux blessures, à un assassinat même. On ne voit pas Kriss mourir, son cri ("YAAAAAAAAHHH !") ressemble peu à un cri d'agonie, son corps disparaît dans les éboulements. Alors, bien sûr, elle ne reviendra certainement pas. Mais le scénariste s'est donné les moyens de la faire revenir. Et de nous laisser douter !

La suite dans "Le Sacrifice"...

Cet album est l'histoire d'une fuite, d'une double évasion à l'échelle d'un pays.
Les trois premières planches posent le décor : le salut viendra de la mer, et les geôliers seront, par leurs mauvais choix, complices de ces évasions.

Sur l'océan des sentiments,
la frontière entre la haine et l'amour est parfois si ténue qu'elle finit par s'effacer.