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"Je n'oublie rien !" est le premier album de ce qui devrait être au moins une trilogie consacrée à Kriss de Valnor, le premier également de la nouvelle collection des Mondes de Thorgal. Cette collection regroupera des albums dédiés à certains personnages marquants de la série Thorgal. Ils seront scénarisés et dessinés par différents auteurs. Les parents de ce premier album sont Yves Sente et Giulio de Vita. Voici le synopsis de l'album :
Kriss est donc de retour ! Suivant la volonté affichée depuis quelques albums de faire des dieux scandinaves des personnages ancrés dans la série, cet album propulse l'aventurière au coeur de leur domaine. Et c'est devant leur tribunal qu'elle va devoir rendre des comptes. L'album a paru le 19 novembre 2010, en même temps que le 32ème album de Thorgal, "La bataille d'Asgard". Avec ses 56 pages (8 de plus qu'un Thorgal) et ses 200 000 albums en premier tirage, ce "Kriss de Valnor" a de l'ambition. Il est aussi le tout premier album réalisé sans les deux auteurs "historiques" de la série, Jean Van Hamme et Grzegorz Rosinski.
Les couvertures des Mondes de Thorgal (dont celle de cet album) seront l'oeuvre du dessinateur habituel de la série, Grzegorz Rosinski. Il s'en est expliqué dans divers entretiens, notamment dans le magazine dBD : "Le plus simple pour garder une unité graphique à cette collection (Les Mondes de Thorgal) était que je les dessine. [...] La couverture est un signe graphique, comme peut l'être un panneau sur la route.". Rosinski s'est particulièrement impliqué dans le lancement de cette nouvelle collection, et il semble avoir très à coeur d'en réaliser toutes les couvertures, un exercice qu'il a toujours particulièrement apprécié. On se souvient ainsi des nombreuses couvertures réalisées pour la revue "Tintin" dans les années 80 puis pour son successeur "Hello BD". Plus récemment, il y eut les couvertures des intégrales chez Niffle, des BDVD pour Seven Sept et des romans chez Milan.
Hommage voulu par Giulio de Vita, peut-être aussi pour rester dans l'esprit de cohérence qui semble être au coeur de cette collection, la couverture est une reprise d'un dessin de l'album "Moi, Jolan". Aaricia, en visite nocturne chez la sorcière Mahara, écoutait avec effarement la vieille femme lui raconter l'histoire sordide d'une petite fille qui s'appelait Kriss... Les journalistes de dBD, chanceux visiteurs de l'atelier de Rosinski, ont exposé les étapes ayant mené à la couverture finale. Le dessin initial, proposé à Rosinski par de Vita, a été exploré par le peintre jusqu'à en fixer le ton et la couleur. On voit sur les deux dessins intermédiaires que Kriss est tantôt plutôt choquée et apeurée, tantôt agressive et déterminée. Au final, la couverture nous propose une Kriss à mi-chemin entre ces deux attitudes, armée, les poings serrés, mais la démarche hésitante et les yeux perdus.
Ce premier album est scénarisé par Yves Sente, qui s'occupe également de la série principale, le dessin étant confié à Giulio de Vita, dessinateur italien déjà connu au Lombard notamment pour ses séries "Wisher" et "James Healer".
Ces deux séries très différentes ont en commun une approche ésotérique du monde contemporain. Le dessin y est détaillé, moderne et dynamique. En plus de ses activités franco-belges, le dessinateur italien a travaillé pour Disney et Marvel, ainsi que dans la publicité et l'illustration. Il est présent sur Internet grâce à son site officiel www.giuliodevita.it et son blog giuliodevita.blogspot.com sur lequel il intervient régulièrement, en postant son actualité ou des travaux plus anciens. Contrairement à beaucoup de dessinateurs, Grzegorz Rosinski n'a jamais stabilisé son dessin sur la série. Chaque album de Thorgal est du coup quasi unique, avec ses approches, ses qualités et parfois ses défauts. Cela en fait une série vivante dont le dessin n'a jamais cessé d'évoluer. Pour Thorgal, de Vita a considérablement fait évoluer son dessin. Dans dBD, il nous dit "Je pense avoir libéré mon trait. Je me suis affranchi des techniques traditionnelles de la bande dessinée dite réaliste.". Il a beaucoup échangé avec Grzegorz Rosinski, présenté ses travaux, modifié son approche. Dans Le Soir, il dit "Je dessinais les bois comme des jardins parfaitement plantés, taillés, organisés. Dans Thorgal, il faut de la forêt sauvage, retrouver l’état de nature, simplifier sa peinture.". Il est intéressant du coup de comparer ses travaux pour voir commment il a cherché à proposer dans Thorgal un dessin équilibré, tenant compte de ses qualités propres tout en adhérant aux codes graphiques actuels de la série. Le dessin de Giulio est plus nerveux, moins net que dans ses autres albums. La nature est simplifiée, les arrière-plans souvent simplement esquissés. On retrouve aussi les ombrages hachurés, l'alignement traditionnel des cases... mais avec un dessin qui ne cherche pas à imiter celui de Rosinski. Voici quelques images extraites de Wisher et James Healer. Personnages, nature, architecture.
Quelques extraits maintenant de "Je n'oublie rien !". Si le trait du dessinateur ne trahit pas la série, les couleurs ne sont pas en reste. Et pour cause, puisque cet album marque le retour sur la série de la coloriste Graza, qui a travaillé sur une dizaine d'albums (du 19ème, "La forteresse invisible", au 28ème "Kriss de Valnor") jusqu'au choix de Grzegorz Rosinski de passer à la couleur directe. Le retour de Graza (dont le nom a été oublié dans cet album, et c'est bien dommage) est une excellente nouvelle et participe forcément à l'intégration de l'album dans la saga Thorgal.
Cette planche interactive permet d'apprécier deux étapes de création des planches, des esquisses à la planche finale. Pour la découvrir, déplacez la souris sur elle de gauche à droite. Solidement encadrée par les guerrières de Freyja, Kriss est menée au trône de la déesse pour y découvrir le sort que lui réservent les Walkyries.
Par nécessité ou par jeu, Yves Sente et Giulio de Vita ont parsemé l'album de références et de petits clins d'oeil à la série principale. Il y a tout d'abord quelques stars invitées au casting. Argun est la première au cours d'une courte séquence de trois pages, très agréable même si elle n'est pas indispensable au récit. On rencontre des gens normaux dans ces quelques cases, un luxe rare dans cet album ! Et on y voit Argun exercer son métier d'armurier, un talent indispensable à la série puisqu'il lui a permis, il y a bien longtemps, de créer pour Thorgal son arme favorite, l'arme de ses exploits, l'arc à double courbure. Autre star du casting, très attendue évidemment, Sigwald-le-brûlé, dont l'histoire dramatique occupe la deuxième moitié de l'album. "Je n'oublie rien" est presque autant l'album de sa vie que de celle de Kriss. Sigwald est le personnage parfait pour un album de ce type car Van Hamme n'avait qu'ébauché son personnage, en le supprimant très vite, tout en lui donnant une personnalité et un physique uniques. C'était la force de Van Hamme : faire beaucoup avec peu, donner des pistes au lecteur sans forcément l'emmener au bout. Yves Sente s'est engouffré dans l'espace laissé par son prédécesseur en donnant à Sigwald un passé, un visage et un coeur. Il sera intéressant, dans le prochain album, de voir quelle influence il aura sur Kriss et d'imaginer la vie qu'aurait connue la jeune femme si son ami n'avait pas disparu si tôt... On peut également noter de multiples clins d'oeil concernant Kriss plus directement. Le premier est sa maladresse d'enfant à la fronde, elle qui deviendra une archère si habile ! On est ainsi tout de suite en terrain familier, dès la première page, cette enfant brune qui tire sur tout ce qui bouge, c'est bien Kriss ! Plus loin dans l'album, sa première scène de combat, son premier corps à corps, est un hommage sanglant à son premier combat dans la série, dans l'album "Les archers". Une danse mortelle où la fureur et l'agilité l'emportent sur la force brute. Même si c'est de manière peu orthodoxe, Kriss utilise pour se battre ce qui deviendra son arme favorite, la flèche. Les personnages secondaires se prêtent aussi au jeu du clin d'oeil, notamment au cours de l'une des scènes finales. Le jeu pervers d'Opale rappelle évidemment celui d'Héraclius dans "Le barbare", tandis que la tenue "particulière" de Gorgane a manifestement fortement inspiré Kriss lorsqu'elle est devenue chef d'équipe dans les mines d'argent byzantines, dans l'album "Kriss de Valnor".
Curieusement, l'album se démarque un peu par contre de celui qui a posé les bases de l'histoire de Kriss, "Moi, Jolan". Ainsi, la brune Olgave devient blonde, le beau-père n'abuse (apparemment) pas de Kriss et ne meurt plus égorgé. Enfin, Kriss semble manifestement décidée à revenir se venger un jour, alors que la devineresse Mahara a affirmé qu'elle n'a jamais remis les pieds dans son village. Des petits détails qui montrent qu'Yves Sente a choisi de remanier son histoire pour la mettre au service de cette nouvelle série d'albums. Pour Kriss, il s'agit bien d'un nouveau départ.
Pas évident de reprendre un personnage aussi torturé et populaire que Kriss de Valnor ! Quasi-omniprésente du 9ème au 22ème album de la série, elle a largement contribué au succès de Thorgal. Mortellement belle, dangereusement séduisante, Kriss a su capter aussi bien le lectorat féminin que le masculin. Son personnage s'est inséré dans le quotidien des Aegirsson au point de faire d'elle un membre de la famille. Elle est un monstre qu'on serre dans ses bras, en espérant qu'il ne va pas nous percer le coeur ! Cette attirance-répulsion permanente fait d'elle la candidate parfaite pour lancer les Mondes de Thorgal. On l'aime et on la déteste suffisamment pour lui pardonner son énième retour. Construit autour de l'enfance du personnage, l'album "Je n'oublie rien !" nous propose l'équivalent d'un Thorgal (47 planches) encadré d'un prologue et d'un épilogue chargés d'ancrer l'histoire dans le présent de la série. Si l'enfance de Kriss aurait pu se suffire à elle-même, notamment grâce à son potentiel dramatique très thorgalien, on sent qu'il ne s'agit pas seulement de dénouer les fils du passé mais aussi de réintégrer le personnage dans la série. Les explications de la déesse Freyja sont d'ailleurs assez floues, elle semble ne pas savoir elle-même pourquoi elle a sauvé Kriss de Valnor, alors que son rôle habituel est de collecter les âmes d'hommes valeureux morts au combat... Dans cette optique, la sentence du procès des Walkyries semble du coup assez jouée d'avance, on verra dans le prochain album comment le scénariste équilibrera cette sentence en tenant compte de ce retour annoncé mais aussi du choix moral contestable que constituerait un blanchiement. Le jeu et l'enjeu n'étaient donc pas simples pour Yves Sente. Et pourtant, il nous livre certainement ici son album de Thorgal le plus abouti. Sans mettre complètement de côté ce monde des dieux qu'il affectionne et explore depuis qu'il a repris la série, Sente revient à une histoire plus sombre, plus brutale, mêlant sang, sueur et larmes. Kriss est une battante, une dévoreuse de vie, qui a plus peur de vieillir que de mourir. Elle est aussi quelqu'un qui hait l'humain, qui ne respecte aucune vie, même pas la sienne. Et pourtant... Sa haine de Thorgal est née de l'amour qu'elle lui porte, comme si ces émotions étaient insoutenables, cette perte de contrôle de soi inacceptable. Cet amour a réveillé la rage en elle car il la tiraille entre l'envie de construire et son besoin viscéral de détruire. Et Aniel, l'enfant qui a fait d'elle une mère, une porteuse de vie, semble avoir achevé de faire remonter en elle une humanité esquissée dans l'album "Kriss de Valnor". Lentement bâti par Jean Van Hamme, ce personnage complexe "méritait" une enfance à la hauteur de ses vices et de ses errements. Une enfance, dans cet album, parfaitement adaptée à ce qu'on connaît d'elle. Bien sûr, on se doutait qu'elle avait vécu des drames et on ne l'imaginait pas grandir dans un cocon confortable, mais il était justement important que cet album d'enfance s'intègre naturellement à la série et que l'histoire de Kriss puisse se lire, pourquoi pas, avant celle des "Archers". La place de la mère, le rejet de la misère, la haine de l'homme et la peur de vieillir (de devenir adulte ?) trouvent ici des origines profondes et tragiques. A suivre dans "La sentence des Walkyries". Voici les cinq premières planches de "Je n'oublie rien !". Elles viennent en suite immédiate (ou presque) de l'album "Kriss de Valnor" de la série principale.
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